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BAYARD
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« Cette question n'appelle pas de réponse, en tous cas pas de réponse assurée. D'ailleurs Villon terminait sa « Ballade des Dames du temps jadis » en disant qu'il était inutile de chercher à savoir où sont les neiges d'antan. La mort est un mystère, et je serais bien incapable de dire si après elle il est ou non une autre vie, si ceux auxquels j'ai dit « adieu » m'ont vraiment donné rendez-vous « en Dieu », si le tombeau où sont certains de mes morts est bien leur « dernière demeure », ou s'il faut supposer, comme faisait Levinas, qu'ils sont partis « sans laisser d'adresse » - façon de rendre hommage au mystère que je disais plus haut. Mais c'est parce que je leur voudrais de tout mon coeur un autre sort que l'oubli, une autre demeure que les eaux du Léthé, c'est parce que je suis assuré qu'en chacun d'eux il existe quelque chose qui mérite de ne pas mourir, que je m'en vais raconter leur vie, leur mort, et ce qui l'a suivi. Prenant pour (insurpassable) modèle le Livre de ma mère d'A. Cohen, je voudrais que ce livre fût celui de mes arrières grands-mères Claire et Alice, de mes arrières grands-tantes Line et Anna, de mon grand-père et de mes grands-mères, de mon père, de mon oncle Paul et de ma tante Marie-Jeanne, enfin de mon cousin Richard. En somme quelque chose comme le « livre de mes morts ». Je sais la désuétude de cette expression : « mes morts », et il y aura là l'occasion d'une réflexion sur le statut que notre époque fait (ou plutôt ne fait pas) aux morts. Je la fais mienne, parce que depuis toujours je me sens une responsabilité pour eux. Puisse cependant ce livre, façon de tenter d'acquitter une dette à jamais insolvable, être joyeux. Qu'il permette que les poignées de terre jetées sur leur masque mortuaire n'annulent pas leurs sourires ; que le silence jeté sur leur vie n'empêche pas qu'on entende leurs rires. »