Pierre Bergounioux présente ce texte haletant, philosophie de la guerre et du temps, par ces quelques mots : « Universellement connu sous l'appellation de Forteresse volante, le Boeing B-17 fut l'instrument principal des bombardements stratégiques qui ruinèrent l'Allemagne. Il emportait dix hommes sur des distances supérieures à trois mille kilomètres, dans l'hiver inexploré des hautes altitudes battues par le feu ennemi. Leur aventure collective n'a pas été contée. Ses possibles interprètes n'y ont pas survécu. A partir d'une image de B-17 en perdition, on a épilogué sur les chances du récit, la liaison toujours incertaine entre l'événement et sa relation.» Extrait : Pour les Anciens, déjà, la guerre était mère de toutes choses. C'est pour exterminer qu'on innove, qu'on passe du silex au bronze puis au fer, de l'arc à l'arquebuse. Ça a pris des millénaires. Les forgerons oublièrent qu'ils avaient succédé aux tailleurs de pierre. L'espèce découvre tard qu'elle a une histoire et c'est tout récemment que ceux qui la font savent qu'ils l'accomplissent. Il a fallu, pour cela, que le devenir précipite son rythme, que des changements significatifs apparaissent dans l'étroite frange que forment, entre le peuple innombrable des morts et celui, futur, qui attend son heure, dans les limbes, les trois générations de vivants.
Publiés en 1934, le premier fut la préface du livre d'António Ferro?: Salazar. Le Portugal et son chef, le second celle d'un numéro consacré aux dictatures et dictateurs de la revue Témoignages de notre temps. Ensemble, ces deux textes formulent une ré?exion nette et incisive sur les mécanismes de l'esprit qui engendrent et régissent les régimes politiques dictatoriaux. La plume du penseur - qui, sans cesse, questionna les élucubrations du monde moderne - n'a pas perdu de sa résonance au ?l du temps et des pouvoirs. A la suite d'Inspirations méditerranéennes et Regards sur la mer, cette publication poursuit la collection menée en collaboration avec le musée Paul Valéry de Sète?: petit format et prix modeste pour découvrir et redécouvrir les textes essentiels de l'écrivain.
De l'évocation pittoresque à l'épreuve métaphysique, des gravures de Michel Strogoff au Cri dostoïevskien, Philippe Jaccottet nous entraîne en ces pages vers une Russie tout intérieure. Il y convoque les plus grandes voix de la littérature et de la pensée occidentale (Dante, Cervantès, Nietzsche, Rimbaud, Dostoïevski, Chalamov), auxquelles les XIXe et XXe siècles russes ont tant apporté. Cet itinéraire sombre, rugissant, dans une géographie de mots et d'images, est plus évocateur que tous les carnets de voyage ; et il y a plus de Russie dans la note d'espoir insensée qui conclut ce texte que dans toutes les visions d'apocalypse que l'on nous sert si volontiers...
" Le lecteur compulse, compare, vérifie. Impossible de se fier au livre qu'il a entre les mains, car manifestement il n'en dit pas assez, faisant d'ailleurs référence à d'autres, qu'il faut localiser, se procurer, ouvrir puis comprendre. Voici qu'il en trouve un, qui était à vrai dire la source du précédent. Il le lit dans une langue qui n'est pas la sienne et qu'il maîtrise mal (...) Mais il faut avancer, coûte que coûte, quels que soient les désagréments, l'inconfort, les dangers qui sommeillent derrière la paroi vert sombre de la rive et que le bruit des pagaies dans l'eau ou celui des pages qu'on tourne peuvent réveiller à tout instant. " Plongé dans les écrits de ces poètes, géographes et anthropologues, ce livre ouvre une voie pour nous y perdre : se succèdent biographies d'aventuriers et autochtones, survols de cartes et archives, chroniques zoologiques en terrain hostile et d'autres. Orinoco n'est ni un roman, ni un récit de voyage. Il traite moins de la source du fleuve que de celle des livres qui ont conté le fleuve - et en ont fait une métaphore inépuisable. Ici, c'est la langue qui est interrogée et la littérature qui se retrouve bousculée dans ses prétentions.
C'est là justement que le 29 mars 1957 j'étais en train d'absorber le 5372ème croissant de mon existence (je ne m'y suis mis que tard au croissant, avant mes moyens ne me permettaient que la mie de pain, lorsque - mais tout d'abord je dois compléter les renseignements que je fournissais tout à l'heure quant à mon alimentation : ces moyennes ne comprennent pas le samedi, car le samedi je fais la fête. Je me permets le sucre, l'amidon, l'acide iodhydrique, l'anhydride sulfureux, etc...
Toutes choses que je me refuse dans le courant de la semaine.
Depuis le groupe surréaliste - qu'il quitte en 1929 et dont il retient la conjugaison de la fantaisie débridée avec la construction rigoureuse - jusqu'à l'Oulipo - où il entre en 1961 poussé par la volonté d'échapper au flou de l'inspiration - toute l'oeuvre de Raymond Queneau, infatigable lecteur, infatigable curieux, est traversée par l'humour et la cocasserie, truffée de trouvailles littéraires qui sont l'effet d'une réflexion sur le langage. Amateur de calembours, citations, pastiches, parodies ;
à la fois romancier, satrape, poète, chansonnier scénariste ou peintre, Queneau distille dans ses textes nombre d'allusions autobiographiques, souvent indirectes ou voilées : déjà en 1937 dans Odile il est permis de deviner le récit de la rupture avec Breton.
Ma vie en chiffres rassemble ses tentatives autobiographiques inédites, sérieuses ou pas...
D'abord sous la forme d'une ode aux mathématiques où tout est prétexte aux pirouettes algébriques, où l'«eggsistence» du narrateur est rythmé par le comptage obsessionnel (du nombre d'heures travaillées à la quantité de croissants ingérés), puis sous celle d'une fiction avortée, l'Autobiographie trafiquée : tout décrit une existence banale finalement perturbée par la folie créatrice.
La verve de Raymond Queneau, oscillation permanente entre rêve et réalité, entre littérature et langue parlée, ne se sépare jamais de cet humour savant voué à nous régaler. Le Collège de 'Pataphysique dont il fût membre aux côtés de Boris Vian ou Max Ernst n'est pas loin : chaque texte est une mise en pièce de la vision traditionnelle et élève, plein d'espiègleries, un regard nouveau sur le monde.
Les états du corps, qui fait écho au premier livre de Bernard Noël, Extraits du corps, est une manière de revenir à ses préoccupations primordiales : Le corps est une carrière à mots, et ses explorations assurent que, là, sous la peau, il y a de quoi refaire la langue. Il interroge encore ce corps par extraits, par états : en onze temps, qui sont autant de fragments de sa légende imprononcée. Dès les premiers mots, c'est toujours le corps qui parle : Au commencement, le corps est ouvert comme un oui. Quelle douceur ! Mais il s'y oublie... Car toute l'oeuvre poétique de Bernard Noël s'incarne du mystère du langage, sa production par le corps : anatomie et poésie constamment s'y accordent. Cette prose précise et saillante n'y manque pas et, partant de la peau, enveloppe l'histoire. En quelques pages, tout est là. La réédition de ce petit organe poétique, publié en 1999 et épuisé depuis plus de quinze ans, commémore l'anniversaire de la disparition de Bernard Noël, ami éternel de Fata Morgana. Avec le texte, les gravures de Cécile Reims font corps
Initialement prévues pour une parution en 1947 chez Skira, ces pages devaient composer ledernier et le plus important texte du «vieux piéton» sur la capitale tant arpentée. Longue et poétique promenade, Paris Seine est bien l'ultime étreinte littéraire de la ville adorée, restée en partie inédite. Dans le décor de ruelles où la prose foule le pavé, Fargue exalte vertiges et sentiments enfouis. La dérive urbaine révèle un monde visible au seul regard du poète où les scénettes du quotidien peignent sur les façades de surprenants tableaux. Fargue, noctambule sentimental, célèbre le détail et tient le bras des foisonnantes idées surgies des cafés. Ces récits, mémoire intime d'une charmeuse érudition, ruissellent d'anecdotes et de noms propres : ces faubourgs et leur temps sont sans secret pour l'explorateur. Paris, ses forces, sa mythologie, nous submergent.
C'est la campagne bourguignonne entière qui, dans ces notes de carnet, résonne. Neige, lacs, soleil, humeurs des saisons, femmes, hommes et bêtes qui peuplent ces terres et leurs hameaux?: tous se délivrent en souvenirs, anecdotes et citations. Le langage règne, il est défenseur de l'imperceptible, de l'instant savouré et de la contemplation. Le lecteur, carnet en main, accompagne le randonneur qui parcourt ce terroir pour en saisir la substance.
Au fond, le livre est de l'architecture. Qui dit architecture, veut dire un édifice et un ordre, une demeure pour les dieux et pour l'homme, que ce soit une simple maison ou une basilique. L'église est une assemblée : la lecture en est une autre. Le livre est la maison de la pensée. Tout commence au monument et tout finit par le livre. La cité s'écroule, la ville disparaît et le livre demeure.
Les édifices sont l'architecture de la matière : le beau livre est une architecture de l'esprit.
Comme il l'avait fait avec La mue, Pierre Bergounioux revient sur ses déméles avec le temps et son inlassable travail sur l'existence. A toutes les échelles de l'histoire, il en flaire et détoure les empreintes. Tout n'est que résurgence dans ces Métamorphoses où chacun des actes présent semble procéder d'une cause à venir, et inversement.
Jacques Réda, dernière grande plume de sa génération, est fervent partisan des correspondances manuscrites et des envois postaux. Affranchissons-nous avait déjà relevé, dans la rêverie, le plaisir de ces pratiques. L'envoi d'une lettre tenait alors de l'anodin : pressentait-il déjà les changements que le numérique portait en son germe ? Ici Jacques Réda vole au secours de ce patrimoine fait de petits bureaux de province, de timbres trafiqués et de négociations à foison. Son verbe, vengeur et nostalgique, gifle la modernisation du système postal et prône le délice du chaos face à ses rouages cadencés. Un éloge qui ne se cantonne pas aux boîtes aux lettres et qui tente, d'un gai pessimisme, de ramener la société et son monde à la raison, vers l'essentiel et les joies sincères.
Pierre Bergounioux ne cesse d'interroger l'épaisseur : l'empreinte est celle du limousin paternel dont il s'applique à retrouver contours, couleurs et contrastes. Sans cesse mêlés le temps long de la terre et celui, bref, des hommes se chevauchent et se répondent. Indisponible depuis près de dix ans, cette nouvelle édition creuse, avec Métamorphoses, les interrogations de Pierre Bergounioux sur le temps.
Les chercheurs d'or remuent beaucoup de terre et trouvent peu (d'or) Il se purifient en se souillant d'un nouveau sang, comme si, ayant marché dans la boue, quelqu'un se lavait avec de la boue : on le prendrait pour un fou en le voyant. Et ils font leur prières à des statues, comme on parlerait avec des murs. Ils ne savent rien de ce que sont dieux et héros.
Tout est mesure du destin.
«Héraclite ne se reconnaissait pas de maître. Je me suis cherché moi-même, nous dit-il au fragment 101. Ou peut-être : j'ai cherché en moi-même, à l'écoute d'une autre voix. Parole en suspens , pour ainsi dire non prononcée, mais donnant lieu , comme en écho, à toute juste parole humaine.
Parole cosmique - parole, mais cosmique : premier et dernier mot de toutes choses. Tel est bien le sens de ce terme (logos) entre tous fondateur, qu'il n'inventa pas, mais prit comme beaucoup d'autres dans le langage commun, en le chargeant d'un sens nouveau.»
S'il fallait définir, d'un trait, la littérature de Homère jusqu'à Faulkner, on pourrait dire que c'est le monde vu par des écrivains. Les faits, qui ont été vécus par des guerriers, de rudes marins, des chevaliers hallucinés, ne furent jamais livrés comme ils s'étaient produits, dans l'instant, pour les intéressés mais tels que les imaginèrent des lettrés assis à l'écart, plus ou moins longtemps après.
«Le passage de l'initiative aux mains de la classe ouvrière», les années trente, sont un pivot capital des visions historiques de Pierre Bergounioux. William Faulkner en est l'incarnation, il marque la rupture : désormais l'écrivain sera immergé dans le monde. D'une prose sans graisse, Pierre Bergounioux articule autour de cette idée un monde cohérent aux perspectives surprenantes sur l'acte d'écriture. On peut ne pas adhérer à ces partis pris, l'essentiel est ailleurs : il s'agit pour lui, à propos de Faulkner qu'il revendique comme une figure tutélaire, de montrer comment la parole s'enlève sur un fond de silence millénaire.
Ce livre n'était plus disponible depuis près de dix ans.
Heureux les paresseux au soleil accoudés sur les parapets de cette pierre d'un blanc si pur dont les «Ponts et Chaussées» bâtissent leurs digues et brise-lames ! D'autres sont couchés à plat ventre sur les blocs avancés que le flot peu à peu ronge, fissure et désagrège. D'autres pêchent ; se piquent les doigts sous l'eau aux ambulacres des oursins, attaquent du couteau les coquilles collées aux roches. Il y a, tout autour des ports, une faune de tels oisifs, mi-philosophes, mi-mollusques. Point de compagnons plus agréables pour un poète. Ils sont les véritables amateurs du Théâtre Marin :
Rien de la vie du port qui leur échappe.
Paul Valéry invite l'oeil des hommes à se perdre, à plonger dans une rêverie abyssale : il scrute l'esprit comme on caresse l'horizon et livre un hymne à la mer gorgée de poésie. Si l'on sait la place qu'occupe la Méditerranée dans l'oeuvre du penseur sétois, sa réflexion déborde ici d'une passion intimement libératrice : le poète est à nu.
Cette publication s'inscrit dans la collection menée en collaboration avec le musée Paul Valéry :
Petit format à petit prix pour servir les textes les plus essentiels.
D'où vient cette sensation qui s'impose avec insistance ? Elle ne vient pas tant des formes organiques que de la certitude acquise à la fréquentation que ces dessins sont l'empreinte multiforme d'une vitalité aux avatars innombrables. Vitalité déposée non pas telle qu'en elle-même, mais telle qu'à elle-même la révèlent ses relations avec les formes qu'elle accueille et qui, incorporées par cet accueil, deviennent les doubles indispensables à l'expression de ses états. L'aspect organique est une conséquence, et non pas, conme il semble d'abord, le résultat d'un choix thématique ;
Ce n'est d'ailleurs pas un thème, mais le langage suscité par une nécessité.
En 1948, Joë Bousquet donne à la revue Les Lettres une étude singulière, de l'admiration à la haine, sur Stéphane Mallarmé. D'une plume étonamment acerbe, il y délaisse l'onirisme de sa poésie pour affronter l'idéal de celui qu'il nomme «le sorcier de Tournon». S'il lui est «impossible de négliger son oeuvre», le texte demeure un réquisitoire obstiné contre les prétentions du maître maudit. En retraçant son parcours littéraire, Bousquet tranche la conception mallarméenne de la ?ction, fait voler en éclats le fardeau de l'ambitieux poète et plaint son approche de la condition humaine.
Notre édition est augmentée de nombreuses notes et variantes inédites issues des brouillons manuscrits de Joë Bousquet (certains reproduits en fac-similé) où l'acidité, loin de décroître, ne cesse de surprendre.
Face à cet abécédaire organique, où les caractères sont vivants et désormais indomptables, Bernard Noël interroge :
N'est-il pas bouleversant de penser que si, depuis son origine, le monde fut pour l'homme visible, il lui fallut des millénaires pour le rendre dicible, et bien des siècles encore pour rendre la parole lisible et donc visuelle par l'écriture. Et le plus simplement par l'invention de l'alphabet qui ne remonte guère qu'à trois mille ans. L'alphabet qui réussit avec si peu de lettres - le nôtre vingt-six - à représenter tous les sons de notre langue.
Cet alphabet-là porte en lui la quête de l'insensé : chacune de ses lettres est un amas de ?bres bestiales et de membres biologiques. «Ainsi chacune demeure identi?able avec une part d'inconnu qui intensi?e son attrait. On la prononce alors en mêlant au plaisir de la reconnaître celui de la contempler et, tout à coup, voici que chacune condense un instant de l'invention humaine.» Les dessins de Roland Sénéca - exposés en France comme à l'étranger depuis 1973 - sont des corps aux contours oniriques, proches de l'indescriptible. Dans des enchevêtrements fantasques, les matières déchirent le sens et transcendent l'énigme de la lettre : ces mystérieux spécimens n'attendent que le regard pour s'exprimer.
Roland Sénéca et Bernard Noël ont entretenu une correspondance nourrie. Fascinés tous deux par les rapports entre la langue et le visible (Une machine à voir) ce livre, tentative de représentation de la lettre, apparaît comme un glissement de la forme vers le sens.
Là, rien n'est policé par une quelconque mise à distance ou à l'abri, pas plus que par les empreintes de l'histoire : tout est au fond livré au vent, qui fait également courir les herbes et les nuages, et qui fait galoper le temps sur les croupes longues des montagnes rabotées par l'âge.
Aucun obstacle à son souffle, sinon quelques forêts de hêtres, mais loin de l'arrêter, elles lui servent de bouche de relance et de porte-voix. Qui a écouté le vent d'hiver ameuter tous les horizons sait à jamais que sous la vie, il y a des régions secrètes dont rien ne permet de conclure si elles sont une menace ou bien si, à la manière des caves, elles abritent des provisions d'avenir.
Voyage parmi les signes et les mots : Henri Michaux nous invite à entrer dans la genèse d'une oeuvre, à le suivre dans le tonique mystère de son combat contre les formes existantes. Progression de la main sur le papier : l'écriture court et multiplie trajets et tentatives. Elle appelle avec force le mouvement : élans, suspensions, pour que rien ne s'arrête.
Pour obtenir un surcroît de précision, il faut ralentir parce qu'on suit un fourgon, sur le périphérique ou une quelconque rocade urbaine, et qu'on a le loisir de détailler les deux portes arrière, avec la plaque d'immatriculation, le carénage de la roue de secours et, par le vitrage de la partie haute, les deux occupants, penchés l'un vers l'autre, qui parlent et qui feraient mieux d'avancer.
Les rectangles couchés, au-dessus, c'est la signalisation mais il n'y a rien d'écrit dessus parce qu'on sait où l'on est, quelle direction prendre et on ne s'en soucie pas.
Entre autres indices de l'arriération qui frappe ce qui se donne pour la réalité, dans les zones périphériques, il y a le fait que des choses qu'on trouve très nouvelles, tout actuelles accusent, vérification faite, cinquante et cent ans d'âge et qu'on peut désespérer, quoi qu'on fasse, d'être jamais de son temps. J'ai découvert, parmi tant d'autres, que j'étais l'otage du passé et que l'unique recours consistait à lire pour aujourd'hui, sans doute, mais pour hier et pour demain, aussi, c'est-à-dire tout le temps, partout et jusqu'en rêve, comme Proust l'explique, dès la première page de sa Recherche, ou encore à caresser des chimères, comme d'être plusieurs en un seul ou d'enfreindre subrepticement la deuxième règle de la méthode cartésienne.
De l'alphabet cunéiforme, des tablettes d'argile et du stylet romain jusqu'au roman faulknerien, Pierre Bergounioux retrace l'histoire de la lettre. L'écriture de Pierre Bergounioux est dans le combat, elle est le combat lorsqu'il s'agit de remettre de l'ordre dans la mémoire. Les armes viennent tempérer l'autonomie sacrée de la littérature en en soulignant la relativité historique.
Les millénaires sont convoqués, la lumière brille sur un monde enfoui derrière les signes : le corps de la lettre est celui du temps, son épaisseur est sondée.