La philosophie politique et la psychanalyse ont en partage un problème essentiel à la vie des hommes et des sociétés, ce mécontentement sourd qui gangrène leur existence. Certes, l'objet de l'analyse reste la quête des origines, la compréhension de l'être intime, de ses manquements, de ses troubles et de ses désirs. Seulement il existe ce moment où savoir ne suffit pas à guérir, à calmer, à apaiser. Pour cela, il faut dépasser la peine, la colère, le deuil, le renoncement et, de façon plus exemplaire, le ressentiment, cette amertume qui peut avoir notre peau alors même que nous pourrions découvrir son goût subtil et libérateur.L'aventure démocratique propose elle aussi la confrontation avec la rumination victimaire. La question du bon gouvernement peut s'effacer devant celle-ci:que faire, à quelque niveau que ce soit, institutionnel ou non, pour que cette entité démocratique sache endiguer la pulsion ressentimiste, la seule à pouvoir menacer sa durabilité? Nous voilà, individus et État de droit, devant un même défi:diagnostiquer le ressentiment, sa force sombre, et résister à la tentation d'en faire le moteur des histoires individuelles et collectives.
«Je me souviens du moins d'une grande fille magnifique qui avait dansé tout l'après-midi. Elle portait un collier de jasmin sur sa robe bleue collante, que la sueur mouillait depuis les reins jusqu'aux jambes. Elle riait en dansant et renversait la tête. Quand elle passait près des tables, elle laissait après elle une odeur mêlée de fleurs et de chair.»
«Limonov n'est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de l'underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d'un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l'immense bordel de l'après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d'un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement.» Emmanuel Carrère.
«Tu es entrée, par hasard, dans une vie dont je n'étais pas fier, et de ce jour-là quelque chose a commencé de changer. J'ai mieux respiré, j'ai détesté moins de choses, j'ai admiré librement ce qui méritait de l'être. Avant toi, hors de toi, je n'adhérais à rien. Cette force, dont tu te moquais quelquefois, n'a jamais été qu'une force solitaire, une force de refus. Avec toi, j'ai accepté plus de choses. J'ai appris à vivre. C'est pour cela sans doute qu'il s'est toujours mêlé à mon amour une gratitude immense.» Pendant quinze ans, Albert Camus et Maria Casarès échangent des lettres où jaillit toute l'intensité de leur amour. Entre la déchirure des séparations et les élans créateurs, cette correspondance met en lumière l'intimité de deux monstres sacrés au sommet de leur art.
Je dédie cet abécédaire des concepts des cultures éloignées à la mémoire de Marcel Mauss. Pour moi, ce sont autant d'éléments du gigantesque puzzle que pourrait être un répertoire de l'humanité.Marcel Mauss a su, comme nul autre, distinguer dans les mondes éloignés les concepts spécifiques à une culture, celle-ci et pas une autre, leur restituer leur signification et leur usage. Il l'a si bien fait que certains sont entrés dans notre langue, comme le tabou ou le mana, tous deux originaires de Polynésie. Je me suis nourri de son érudition, de son intelligence, tout entière vouée à la compréhension des autres.J'ai tenté à mon tour d'attraper dans des mondes éloignés des concepts qui me paraissaient à la fois spécifiques et féconds. Je me suis donc longuement appesanti sur le djinn du Maghreb ou du Moyen-Orient, sur le zar d'Éthiopie ou du Soudan, ou sur le vaudou du Bénin et du Togo, parce que j'avais besoin de ces notions pour rendre plus cohérent mon travail clinique auprès de patients provenant de ces mondes.T. N.
19 novembre 1957.
Cher Monsieur Germain, J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon coeur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n'ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j'ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. (...) Je vous embrasse, de toutes mes forces.
Albert Camus.
Alors qu'il vient de recevoir le prix Nobel de littérature, Albert Camus écrit à son ancien instituteur à Alger, celui sans qui « rien de tout cela ne serait arrivé », toute sa reconnaissance. L'ensemble de la correspondance entre les deux hommes et un extrait du Premier homme où apparaît le personnage de l'instituteur M. Bernard sont ici réunis. Une édition en forme d'hommage à ce lien magnifique de gratitude et de tendresse.
Livre-manifeste, source d'inspiration pour Henry David Thoreau, La Nature (1836) est au fondement du mouvement transcendantaliste qui éclôt dans l'Amérique du XIX? siècle. S'y déploie une pensée poétique replaçant l'individu au sein d'une totalité enveloppante:la Nature. Une nature qu'Emerson appelle avec ferveur à reconnaître et à chérir.«Étendu sur la terre, - ma tête baignant dans l'air pur, et le regard égaré dans l'espace, - je sens s'évanouir tout égoïsme. Mon oeil devient un globe transparent. Je ne suis rien. Je vois tout.»
«Sans en avoir toujours conscience, nous sommes nous-mêmes le divertissement des autres, comme ils sont le nôtre. Regarder passer la rue reste un de mes loisirs favoris. Je m'y reconnais. J'y note mes propres ridicules, mes insuffisances, mes prétentions stupides, mes défauts d'apparence, mon inélégance, ma balourdise. Ces gens, dont je souris, témoignent seulement de ce que je suis.»
Rédigé en 1941, alors que l'hitlérisme a contraint Stefan Zweig à émigrer au Brésil, Le Monde d'hier raconte une perte: celle d'un monde de sécurité et de stabilité apparentes, où chaque chose avait sa place dans un ordre culturel, politique et social qui paraissait de toute éternité.
Un monde austro-hongrois et une ville sans égale, Vienne, qu'engloutira le cataclysme de 1914.
Dans ce qui est l'un des plus grands livres-témoignages sur l'évolution de l'Europe de 1895 à 1941, Zweig retrace dans un va et vient constant la vie de la bourgeoisie juive éclairée, moderne, inétégrée et le destin de l'Europe jusqu'à son suicide, sous les coups de la montée du nationalisme, de l'antisémitisme, de la catastrophe de la Première guerre mondiale et de l'effondrement de l'empire austro-hongrois jusqu'au rattachement de Vienne au Reich nationalsocialiste.
Chemin faisant, le lecteur croise les amis de l'auteur: Schnitzler, Rilke, Romain Rolland, Freud, Verhaeren ou Valéry.
Ce tableau d'un demi-siècle de l'histoire de l'Europe résume le sens d'une vie, d'un engagement d'écrivain, d'un idéal d'une République de l'intelligence par dessus les frontières.
Patti Smith a qualifié ce livre de «carte de mon existence». En dix-huit «stations», elle nous entraîne dans un voyage qui traverse le paysage de ses aspirations et de son inspiration, par le prisme des cafés et autres lieux qu'elle a visités de par le globe.
M Train débute au 'Ino, le petit bar de Greenwich Village où elle va chaque matin boire son café noir, méditer sur le monde tel qu'il est ou tel qu'il fut, et écrire dans son carnet.
En passant par la Casa Azul de Frida Kahlo dans la banlieue de Mexico, par les tombes de Genet, Rimbaud, Mishima, ou encore par un bungalow délabré en bord de mer, à New York, qu'elle a acheté juste avant le passage dévastateur de l'ouragan Sandy, Patti Smith nous propose un itinéraire flottant au coeur de ses références (on croise Murakami, Blake, Bolaño, Sebald, Burroughs... ) et des événements de sa vie.
Écrit dans une prose fluide et subtile qui oscille entre rêve et réalité, passé et présent, évocations de son engagement artistique et de la perte tragique de son mari - le guitariste Fred «Sonic» Smith -, M Train est une réflexion sur le deuil et l'espoir, le passage du temps et le souvenir, la création, les séries policières, la littérature, le café...
Après Glaneurs de rêves (Gallimard, 2014), Patti Smith nous propose un nouveau livre inclassable, profondément sensible et sincère, illustré par les photographies en noir et blanc qu'elle prend depuis toujours, et qui confirme qu'elle est l'une des artistes actuelles les plus singulières et indépendantes...
C'est à l'époque moderne que l'homme en est arrivé à se dire le créateur de sa propre humanité. Autrefois, il se croyait l'oeuvre de la nature ou l'enfant de Dieu. Désormais, il entend conquérir l'une et s'affranchir de l'autre. Il veut rompre avec le passé, se donner souverainement sa loi, définir ce qui doit être, dominer. Telle est l'ambition vertigineuse que raconte cet ouvrage. Descartes rêvait d'un homme maître et possesseur de la nature ; deux siècles plus tard, Nietzsche allait décréter que l'homme doit être dépassé, n'étant plus à la hauteur des attentes que lui-même avait définies. Rémi Brague interroge les origines de ce projet et retrouve les traits qui vont progressivement dessiner la nouvelle humanité dont nous sommes les héritiers. Pour reconstituer la longue trajectoire de l'homme moderne, ce livre convoque aussi bien la philosophie que la littérature ; il y découvre les espoirs et l'enthousiasme qui portent ses débuts, mais aussi, à l'épreuve de cette expérience impossible, l'angoisse et les désillusions qui en marquent l'échec. Le Règne de l'homme clôt une longue enquête sur la manière dont l'homme, de l'Antiquité à nos jours, a pensé successivement son rapport d'abord au monde, ensuite à Dieu et, pour finir, à soi-même.
«Depuis que j'ai quitté le monde, et que j'ai choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de toute crainte. J'abandonne ma vie au destin, je ne désire ni vivre longtemps, ni mourir vite. J'assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n'y accroche pas mon espoir et n'éprouve pas non plus de regret. Pour moi le plaisir suprême est celui que j'éprouve sur l'oreiller d'une sieste paisible, et l'ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage.»Notes de ma cabane de moineDes siècles avant Henry David Thoreau se lisent ici les pensées de deux grands poètes-ermites japonais célébrant, depuis leur contemplation silencieuse et retirée, la force de leur présence au monde.
Avec Nietzsche s'inaugure une philosophie nouvelle, centrée dorénavant sur le corps et la vie, qui appelle une nouvelle histoire de la philosophie. En parcourant les grandes étapes de cette histoire, Barbara Stiegler introduit le lecteur aux philosophies de Descartes, Kant, Schopenhauer, Hegel et Marx, ainsi qu'à quelques grandes figures de la philosophie contemporaine, proches ou héritières de cette nouvelle philosophie de la vie:William James, John Dewey, Bergson, Canguilhem et Foucault, sans oublier le contrepoint critique de la phénoménologie, de Husserl à Heidegger. Parce que le fil conducteur de cette nouvelle histoire suit la réalité concrète du corps et de la vie, son livre est aussi une introduction à l'histoire de la biologie, de la physiologie à la théorie de l'évolution, et jusqu'aux débats les plus brûlants de la biologie et des sciences médicales contemporaines. À la lumière de ce parcours, la philosophie de Nietzsche ne peut plus apparaître comme une météorite solitaire et fulgurante. Elle se situe bien plutôt au beau milieu d'un tournant:celui à partir duquel, sur fond de fin de la métaphysique et de crise des savoirs, le gouvernement de la vie et des vivants doit devenir l'affaire de tous, nous obligeant à repenser de fond en comble les notions de «réalité» et de «vérité» en même temps que la valeur des énoncés produits par la science.
«La modernité a tout remis en question.Notre époque, avec ses besoins de précision, de vitesse, d'énergie, de fragmentation de temps, de diffusion dans l'espace, bouleverse non seulement l'aspect du paysage contemporain, mais encore, en exigeant de l'individu de la volonté, de la virtuosité, de la technique, elle bouleverse aussi sa sensibilité, son émotion, sa façon d'être, de penser, d'agir, tout son langage, bref, la vie.Cette transformation profonde de l'homme d'aujourd'hui ne peut pas s'accomplir sans un ébranlement général de la conscience et un détraquement intime des sens et du coeur:autant de causes, de réactions, de réflexes qui sont le drame, la joie, l'orgueil, le désespoir, la passion de notre génération écorchée et comme à vif.»Aujourd'hui est à Blaise Cendrars ce que le Manifeste du surréalisme est à André Breton, une profession de foi, un art poétique et une proclamation à la face du monde entier.
«Relever le lustre et le privilège des dames, opprimés par la tyrannie des hommes, de les combattre plutôt par eux-mêmes, c'est-à-dire par les sentences des plus illustres esprits de leur sexe profanes et saints, et par l'autorité même de Dieu», voilà résumée en partie l'ambition de Marie de Gournay (1565-1645). Car, si elle défend la position des femmes, qu'elle veut à l'égal des hommes, et si elle réclame pour elles un accès au savoir et aux débats intellectuels, elle dénonce aussi la superficialité de la haute société qui l'entoure. «Fille d'alliance» de Montaigne et éditrice de ses Essais, Marie de Gournay puise, chez les Anciens comme chez ses contemporains, son inspiration pour de nouveaux modèles de moralité. Un plaidoyer humaniste en faveur de l'éducation des femmes placé au coeur d'une profonde réflexion et d'une indéniable vocation pédagogique consacrées à la moralisation de la société.
«Les palais de la grande vie se dressent près de nous. Ils sont habités par des rois, là par des mendiants. Thérèse de Lisieux et Marilyn Monroe. Marceline Desbordes-Valmore et Kierkegaard. Un merle, un geai et quelques accidents lumineux. La grande vie prend soin de nous quand nous ne savons plus rien. Elle nous écrit des lettres.» Christian Bobin.
«Les contes de fées c'est comme ça.Un matin on se réveille.On dit:Ce n'était qu'un conte de fées...On sourit de soi.Mais au fond on ne sourit guère.On sait bien que les contes de fées c'est la seule vérité de la vie.»Antoine de Saint-Exupéry
Que fait-on quand on regarde une peinture? À quoi pense-t-on? Qu'imagine-t-on? Comment dire, comment se dire à soi-même ce que l'on voit ou devine? Et comment l'historien d'art peut-il interpréter sérieusement ce qu'il voit un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout?En six courtes fictions narratives qui se présentent comme autant d'enquêtes sur des évidences du visible, de Velazquez à Titien, de Bruegel à Tintoret, Daniel Arasse propose des aventures du regard. Un seul point commun entre les tableaux envisagés:la peinture y révèle sa puissance en nous éblouissant, en démontrant que nous ne voyons rien de ce qu'elle nous montre. On n'y voit rien! Mais ce rien, ce n'est pas rien.Écrit par un des historiens d'art les plus brillants d'aujourd'hui, ce livre adopte un ton vif, libre et drôle pour aborder le savoir sans fin que la peinture nous délivre à travers les siècles.
Le Tao-tö king, «livre sacré de la Voie et de la Vertu», réconcilie les deux principes universels opposés:le yin, principe féminin, lunaire, froid, obscur qui représente la passivité, et le yang, principe masculin, qui représente l'énergie solaire, la lumière, la chaleur, le positif. De leur équilibre et de leur alternance naissent tous les phénomènes de la nature, régis par un principe suprême, le Tao.«Tout le monde tient le beau pour le beau,c'est en cela que réside sa laideur.Tout le monde tient le bien pour le bien,c'est en cela que réside son mal.»
Le design concerne a priori l'objet et ses métamorphoses à l'ère des masses, il est autant culture de projet que produit industriel. Cet ouvrage défend l'idée que le penser, c'est l'arrimer à des configurations antérieures, le voir en situation, décrire ses tâches circonstanciées, plonger dans une expérience historique. Grandes découpes, séries, objets, figures et controverses. Entre moments célèbres et épisodes plus marginaux, Le design:Histoire, concepts, combats tente de faire imploser les définitions décontextualisées sous l'impact de l'histoire.Il suit en chacune de ses traversées la leçon d'un Mendini qui écrivait en 1974:«Nous vivons entourés de problèmes importants:massacres, récession, guerres, énergie. Et pour vivre nous nous attaquons à des petits problèmes. Nous dessinons bien et mal des serrureries et des fouets, des chiottes et des pavillons, des digues et des plans d'urbanisme pendant qu'autour de nous éclatent des bombes.» La discipline design oscille dès lors dans le trouble des dimensions, comme si «les problèmes, fussent-ils très grands, étaient en réalité très petits, et les très petits, très grands».
10 décembre 1919:le prix Goncourt est attribué à Marcel Proust pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs. Aussitôt éclate un tonnerre de protestations:anciens combattants, pacifistes, réactionnaires, révolutionnaires, chacun se sent insulté par un livre qui, ressuscitant le temps perdu, semble dédaigner le temps présent. Pendant des semaines, Proust est vilipendé dans la presse, brocardé, injurié, menacé. Son tort? Ne plus être jeune, être riche, ne pas avoir fait la guerre, ne pas raconter la vie dans les tranchées. Retraçant l'histoire du prix et les manoeuvres en vue de son attribution à Proust, s'appuyant sur des documents inédits, dont il dévoile nombre d'extraits savoureux, Thierry Laget fait le récit d'un événement inouï - cette partie de chamboule-tout qui a déplacé le pôle magnétique de la littérature - et de l'émeute dont il a donné le signal.
Au départ, il y a cette question posée à Montaigne - cette question que Montaigne pose lui-même : une fois que l'individu, dans un accès d'humeur mélancolique, a récusé l'illusion du paraître, quelles exériences lui sont-elles réservées ? Que va découvrir celui qui a dénoncé autour de lui l'artifice et le déguisement ? Lui est-il permis de faire retour à soi, d'accéder à l'être, à la vérité, à l'identité intérieure, au nom desquels il jugeait insatisfaisant le monde dont il s'est écarté ? Montaigne met à l'épreuve cet espoir en composant les Essais. Mais «la prise et la serre» seont-elles possibles ? Si les mots et le langage sont, au dire de Montaigne, «une marchandise si vulgaire et si vile», quel paradoxe que de composer un livre et de s'essayer soi-même au fil des pages écrites ! L'on ne sort de l'apparence que pour s'engager dans une nouvelle apparence.Montaigne voit le doute s'étendre jusqu'au point où nulle opinion n'offre une garantie supérieure à celle de la vie sensible. Par le détour de la réflexion sceptique, il réhabilite le paraître, rétablit la «relation à autruy», reconnaît les droits de la coutume et de la finitude. Ce mouvement réconcilie la pensée avec ce qu'elle avait d'abord rejeté ; la condition humaine, malgré toute sa faiblesse, peut être le lieu de la plénitude.
«Je vous écris tandis que s'éteignent les dernières notes de notre Alléluia. Souvent j'écoute ce chant. Il me parle de vous, Anne. Je pense qu'il vous ressemble, ou du moins, à une certaine Anne, la plus secrète, la plus vraie, la plus exigeante. J'aime que cette Anne-là existe. Pour l'atteindre il faut du silence et de la force. Ce n'est pas commode. Mais passionnant.» En 1962, un homme politique français de quarante-six ans rencontre à Hossegor une jeune fille de dix-neuf ans. Il lui écrira, jusqu'à la veille de sa mort, plus de mille lettres témoignant d'un amour secret et indéfectible. Ce recueil nous dévoile des aspects totalement inconnus de celui qui fut deux fois président de la République.
«Souvent, depuis le début de notre relation, j'étais restée fascinée en découvrant au réveil la table non desservie du dîner, les chaises déplacées, nos vêtements emmêlés, jetés par terre n'importe où la veille au soir en faisant l'amour. C'était un paysage à chaque fois différent. Je me demande pourquoi l'idée de le photographier ne m'est pas venue plus tôt. Ni pourquoi je n'ai jamais proposé cela à aucun homme. Peut-être considérais-je qu'il y avait là quelque chose de vaguement honteux, ou d'indigne. En un sens, il était moins obscène pour moi de photographier le sexe de M. Peut-être aussi ne pouvais-je le faire qu'avec cet homme-là et qu'à cette période de ma vie.» Annie Ernaux.