Dans ce recueil d'essais à la fois drôles, érudits, débordants de curiosité et étrangement prémonitoires, Margaret Atwood tourne son intelligence exceptionnelle et son humour espiègle sur notre monde et nous rend compte de ses réflexions. Elle revient sur le krach financier, l'ascension de Trump et la pandémie. De la crise climatique à la question de l'avortement, personne n'est plus à même d'interroger les mystères multiples et variés de l'humanité. Cette anthologie non seulement saisit parfaitement notre époque, mais nous en dit un peu plus sur la personnalité de l'autrice emblématique de La Servante écarlate, sur ses combats et sur les écrivains qu'elle affectionne, de Richard Powers à Doris Lessing en passant par Alice Munro.
Extrait : Le marché des futurs - QUELQUES HISTOIRES QUE NOUS RACONTONS SUR LES TEMPS À VENIR (2013) :
« L'apocalypse zombie doit donc une partie de son attrait au fait que, aussi effroyable que puisse vous paraître la situation actuelle, elle pourrait encore empirer. Cela fait paraître le présent plutôt plaisant, en comparaison. [Vous] vous trouvez laid ? Eh bien, songez que vous seriez bien plus laid encore si vous deveniez un zombie. Tous ces soins dentaires en pure perte, sans parler des traitements capillaires ! »
Un virus bien en chair et en os, si je puis me permettre, a démontré que le virus virtuel n'était pas la seule réalité avec laquelle nous avions à compter. Venu de Chine où des pangolins et des chauves-souris ont été incriminés, il a mis le monde à genoux.
Il a été le révélateur, au sens photographique du terme, des folies de notre époque : impéritie de l'État français, faiblesse extrême de son chef, impuissance de l'Europe de Maastricht, sottise de philosophes qui invitaient à laisser mourir les vieux pour sauver l'économie, cacophonie des scientifiques, volatilisation de l'expertise, agglutination des défenseurs du système dans la haine du professeur Raoult, émergence d'une médecine médiatique, indigence du monde journalistique, rien de très neuf...
Le covid-19 rappelle une leçon de choses élémentaire : il n'est pas le retour de la mort refoulée, mais la preuve vitaliste que la vie n'est que par la mort qui la rend possible. Tout ce qui est naît, vit, croît et meurt uniquement pour se reproduire - y compris, et surtout, chez les humains. Ce virus veut la vie qui le veut, ce qui induit parfois la mort de ceux qu'il touche. Mais quel tempérament tragique peut et veut encore entendre cette leçon de philosophie vitaliste ?
Michel Onfray.
Orwell montre ce qu'est une dictature et comment elle fonctionne. Voici ses dix commandements.
Le premier : détruire la liberté - donc activer la police de la pensée, assurer une surveillance perpétuelle, dénoncer le crime-par-la-pensée, supprimer la solitude, se réjouir aux fêtes obligatoires, ruiner la vie personnelle.
Le deuxième : appauvrir la langue - donc pratiquer une nouvelle langue, utiliser le double langage, parler une langue unique.
Le troisième : abolir la vérité - donc propager de fausses nouvelles, effacer le passé, produire le réel.
Le quatrième : supprimer l'histoire - donc organiser des cérémonies de la haine, réécrire l'histoire, détruire les livres.
Le cinquième : nier la nature - donc nier les lois de la nature, imposer un corps hygiéniste, procréer médicalement.
Le sixième : artificialiser les corps - détruire la pulsion de vie, procréer médicalement, organiser la frustration sexuelle.
Le septième : ruiner la culture - donc réaffecter les églises, industrialiser les productions artistiques, baisser l'instruction du peuple, formater les enfants, supprimer la beauté.
Le huitième : fomenter des guerres - donc : se créer un ennemi, entretenir des guerres.
Le neuvième : aspirer à l'Empire - donc : gouverner avec les élites, pratiquer un urbanisme de classe ; administrer l'opposition, psychiatriser toute pensée critique, dissimuler le pouvoir.
Le dixième : effacer l'homme - donc : dominer grâce au progrès, achever le dernier homme.
La Ferme des animaux, quant à elle, démontre qu'une révolution, au sens étymologique, mais aussi au sens politique, est un mouvement qui ramène toujours à son point de départ. Avec le temps, les animaux de la ferme qui exproprient leur maître se font plus tyranniques que ledit maître. Seul l'âne, qui est l'animal auquel on ne saurait imposer le joug, sauve le monde en gardant l'esprit critique.
Toute ressemblance avec une situation connue n'est évidemment pas fortuite pour Michel Onfray qui rappelle que 2050 est la date ultime fixée par Orwell pour l'aboutissement de sa funeste prophétie. « À la vitesse où vont les choses, Orwell, s'inquiète-t-il, aura peut-être raison : 2050 n'est pas un espoir vain pour les nihilistes qui se disent progressistes. »
Parmi les écrivains les plus illustres du XVIIe siècle, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Bossuet, Boileau, Mme de Sévigné, Mme de Lafayette, figure La Bruyère. Avec Les Caractères ou les Moeurs de ce siècle, il a tendu au public de son époque un miroir qui nous reflète toujours. Bien des comportements de la société de Louis XIV ressemblent aux nôtres. Les temps changent, pas le fond des hommes.
Jean-Michel Delacomptée explore ce miroir et ce que ses reflets disent de nous.
De La Bruyère lui-même, on sait fort peu de choses. Quels milieux fréquentait-il ? Était-il misanthrope, misogyne ? A-t-il aimé ? Était-ce un orgueil blessé ? Quelle était la morale de cet auteur si grave et pourtant si drôle ?
Jean-Michel Delacomptée brosse le portrait captivant de ce classique de notre littérature. Il ouvre ainsi une porte dérobée dans les Caractères, dont il rappelle avec force l'intemporelle grandeur.
Quand Si c'est un homme paraît, en 1947, il passe inaperçu. Il faudra attendre plus de dix ans avant qu'une nouvelle édition révèle en Primo Levi non seulement un témoin majeur de l'univers concentrationnaire nazi, mais un grand écrivain. Primo Levi, qui disait devoir à Auschwitz sa vocation littéraire, revint sans cesse sur ce qu'il avait écrit dans son chef-d'oeuvre. Il se fit gardien de la mémoire, interlocuteur toujours prêt à éclairer notre vision des camps, du nazisme et de l'antisémitisme, et à alerter contre le retour de ce mal sous la même forme ou sous d'autres. Dans ce recueil d'entretiens diffusés à la radio ou parus dans la presse écrite, il creuse encore - avec son génie de la précision, son ironie et sa hauteur de vue - ces questions qui sont au coeur de son oeuvre. L'occasion de réentendre, cent ans après sa naissance, la voix d'un auteur pour qui la parole était le prolongement de l'écriture.
Fait des proses et des poèmes que je connais - ou connaissais - par coeur, ce livre n'aspire à rien d'autre qu'à donner un peu de plaisir, et peut-être d'émotion, à ceux qui le liront.
Voilà des mots qui ne sont pas de moi et qui valent mieux que moi, mais qui, à force de familiarité, d'admiration, d'une répétition intérieure proche de la rumination, ont fini par se confondre avec moi : il m'arrive de les dire au soir quand il tombe sur la ville, sur la campagne, sur la neige ou au matin qui se lève sur la mer. Ils tournent, pour la plupart, autour de ces passions qui nous donnent à tous tant de bonheur et tant de souffrance.
Et toi mon coeur pourquoi bats-tu. Renonçant à la fois à l'ordre chronologique ou alphabétique et au classement par thèmes, j'ai choisi de présenter en désordre, en vrac, comme ils me venaient à l'esprit et au coeur, ces mots ailés aux lecteurs. Avec pourtant un dessein nonchalant - changements de lumière, passage du temps, résonances, contrepoints - qu'au fil des pages chacun découvrira. Plaisir. Emotion.
Jusque dans les vers et les proses les plus simples de ce livre, il y a encore autre chose une élévation, une hauteur, une sorte d'appel vers ailleurs. " La littérature, écrit Pessoa, est la preuve que la vie ne suffit pas. " Les textes ici réunis ont le pouvoir mystérieux de rendre la vie plus belle et de transformer notre existence. J. 0.
Virginia Woolf eut une existence emplie de livres et dédia une grande partie de son temps à cet exercice exaltant et enrichissant qu'est la lecture. Elle adorait tout particulièrement les auteurs anglais, français et russes. Au fil de ces Lectures intimes, on la découvre tour à tour amicale, enthousiaste, vibrante de colère, toujours libre dans ses goûts et ses passions, parmi lesquelles on retrouve des noms illustres - Montaigne, Mme de Sévigné, Joseph Conrad, Edgar Allan Poe, Walt Whitman - et d'autres qui le sont moins, tels Harold Nicolson ou Lytton Strachey. À tous elle accorde la même attention, à la fois bienveillante et critique, car à travers ces écrivains, gloires du passé ou confrères du cercle Bloomsbury, c'est en définitive sa propre oeuvre qu'elle analyse.
Ils ont vécu à des époques différentes, fait face à des ennemis qui ne sont pas de même nature - et leurs réponses ne sont pas univoques. Tous, pourtant, ont renoncé au confort d'une vie tranquille au nom d'un amour intransigeant : celui des êtres humains, celui de la vérité. Ils ont refusé de se soumettre : à l'agresseur venu du dehors, à leurs démons intérieurs aussi. Tous ont - parfois dès l'origine, parfois après une « conversion » religieuse ou laïque répudié l'usage de la violence dans leurs luttes.
Si ce livre d'histoires n'est pas seulement un livre d'histoire, c'est que chacun des « insoumis » dont Todorov retrace le destin a pour nous des résonances profondes, bien au-delà des circonstances que l'auteur relate et qui dépassent le caractère héroïque, voire tragique, de certains des personnages.
Soixante-dix ans après sa déportation et sa disparition à Auschwitz, la voix de la jeune Etty Hillesum nous émeut et nous inspire par sa volonté de partager le lot commun plutôt que de se sauver, elle, et d'affirmer la beauté du monde en toutes circonstances.
C'est par sa religion du vrai et du juste - et aussi par son inaltérable sens de l'humour, sa façon de considérer les humains non en « blocs » ethniques, nationaux, politiques, religieux, mais un par un - que Germaine Tillion, ethnologue, historienne, résistante, visiteuse de prison, militante contre la peine de mort et la torture, s'attache à notre coeur.
Entre les deux grands écrivains russes Boris Pasternak et Alexandre Soljenitsyne, un point commun de nationalité et un prix Nobel de littérature, mais que de différences de tempérament ! Pasternak humain trop humain, conscient de ses imperfections, se cachant dans une résistance intérieure presque invisible pour édifier le roman majeur qu'est Le Docteur Jivago ; Soljenitsyne, guerrier sans relâche, faisant de son oeuvre et de sa position publique une arme de combat contre le régime soviétique. Libre au lecteur de Todorov, après lecture, de juger duquel il se sent le plus proche - affaire subjective car sous sa plume, il est impossible de ne pas les comprendre et les admirer tous les deux.
Malgré les apparences premières, il y a plus de points communs entre ces deux figures de la lutte contre les discriminations raciales que sont Nelson Mandela et Malcolm X, qu'il s'agisse du combat contre l'apartheid en Afrique du Sud ou de la révolte contre le racisme aux États-Unis, dans leur jeunesse l'un comme l'autre n'ont pas hésité à prêcher la violence contre la violence afin de vaincre un ennemi sourd et aveugle. Mais l'un comme l'autre y ont renoncé - même si l'Américain a fini assassiné par ceux-là mêmes dont il s'était dissocié, tandis que Mandela, père de l'Afrique du Sud moderne, terminait son existence entouré d'une admiration universelle.
Avec l'exemple de l'historien israélien David Shulman, militant pacifique inlassable des droits des Palestiniens, Todorov n'hésite pas à aborder un conflit aux racines historiques complexes et aux résonances émotionnelles mondiales ; en achevant son livre sur la figure du lanceur d'alerte Edward Snowden, traître pour les uns, héros pour les autres, il ne fuit pas la controverse et nous entraîne au coeur d'un débat démocratique contemporain majeur : au nom de la protection contre le terrorisme, la menace sur les libertés individuelles que font peser des systèmes étatico-capitalistes de collection de milliards de données personnelles utilisables selon l'opportunité.
« Au commencement était le verbe. » Mais l'était-il vraiment ? Tom Wolfe, le maestro des raconteurs d'histoires, enquête ici sur les origines de son principal outil de travail (et objet de passion) : la langue. Pour lui, pas de doute, c'est bien au langage - et non à l'évolution - qu'on doit le développement des sociétés et les réalisations complexes de l'humanité. D'Alfred Wallace, l'autodidacte qui fut le premier, avant Charles Darwin, à défendre la théorie de la sélection naturelle, jusqu'aux néodarwinistes contemporains menés par le linguiste Noam Chomsky et récemment pourfendus par l'anthropologue Daniel Everett, Wolfe examine comment la science a essayé, en vain, de fournir une explication à ce don de la parole. Avec un humour jubilatoire, il suit les errements secrets et grandioses du darwinisme, du temps de la Royal Academy jusqu'au MIT, et signe un petit bijou d'érudition, drôlement passionnant, d'une incroyable férocité envers l'establishment.
Comme chacun le sait, la perfection n'existe pas en ce bas monde. Toutefois, elle peut être recherchée telle une amie que l' on a perdue de vue depuis longtemps, mais à laquelle on reste mystérieusement attaché. La retrouver serait donc un bonheur !
Dans ce livre où l'humour n'exclut pas le sérieux, un jeune homme et une jeune fille bien de leur temps, le nôtre, sont décidés à aimer la vie et à la servir le plus parfaitement possible. Et si tous deux nous aidaient à retrouver l'amie perdue ? En une série d'aphorismes qui montrent sa connaissance profonde du coeur humain, Michel-Marie Zanotti-Sorkine nous conte leur journée parfaite.
Un livre qui ne manquera pas de se graver dans nos mémoires et peut-être - qui sait ? - dans nos intentions et gestes à venir.
Un délicieux portrait littéraire en forme de savoir-vivre.
Qui penserait attribuer une origine étrangère à des mots comme jupe, épinard, braguette, violon ou encore sentimental ? Et pourtant, jupe vient de l'arabe, épinard du persan, braguette du gaulois, violon de l'italien et - qui l'eût cru ? - l'adjectif sentimental nous est venu du latin, mais par l'anglais.
Si l'on sait bien que la langue française est issue du latin, on oublie souvent qu'elle s'est enrichie au cours de sa longue histoire de milliers de mots venus des quatre coins du monde : du grec, du celtique, du francique, mais aussi de l'italien, de l'anglais, de l'espagnol, du portugais et encore de l'arabe, du persan, du turc, du japonais, et des langues amérindiennes ou africaines...
Henriette Walter raconte l'histoire de ces mots, de ces vagues d'immigration parfois clandestines qui ont petit à petit donné des couleurs à la langue française.
Michel Houellebecq occupe une place unique dans le paysage littéraire. Auteur controversé de best-sellers dont chacun déclenche un tsunami de polémiques, il est pourtant traduit dans le monde entier, étudié à l'université et consacré par des prix prestigieux. Comment expliquer ce paradoxe ? La mythologie houellebecquienne se nourrit de trois récits : celui du génie littéraire et de l'oracle inquiet de notre temps ; celui du grand écrivain possédant sa propre épithète, à l'instar d'un Balzac ; celui de l'imposteur, du littérateur sans style alimentant sa notoriété à coups de provocations. Au sein de cet espace singulier, miroir de nos contradictions, Michel Houellebecq se déplace en acrobate fascinant.
« Et alors ? Beaucoup de bruit pour rien ou, comme j'ai essayé de le montrer dans ces quelques pages, la conviction que le «génie» de la langue dont parle Voltaire ne s'explique qu'en observant ses particularités ? Tout au long de cette balade à travers les trouvailles linguistiques malicieuses, acrobatiques, parfois régressives ou scandaleuses, iconoclastes et jouissives qui fleurissent à l'ombre de la langue officielle, j'ai voulu la «défendre». Bien avant moi, en 1549, Du Bellay écrivait La Deffence, et illustration de la langue francoyse pour combattre le «Monstre ignorance» et «illustrer» la langue, c'est-à-dire la faire «rayonner». Proust ne dit pas autre chose lorsqu'il écrit en 1908 à Mme Strauss : «Les seules personnes qui défendent la langue française sont celles qui l'attaquent.» Étonnant, non ? » J.-L. C.
Certains puristes s'indignent régulièrement : notre langue souffrirait d'être dénaturée, aliénée et même colonisée. Il faut plutôt se réjouir qu'elle puisse évoluer et continuer de nous réserver quelques belles surprises. Loin d'en être appauvrie ou diminuée, elle s'enrichit entre autres grâce à l'argot et à la langue de banlieue. Heureusement culbutée par les fi gures de style, calembours et autres contrepèteries, elle est revigorée par le génie de jongleurs de mots comme Perec, Queneau ou Devos. Ce sont plutôt les prétendus moralisateurs de notre langue qui la maltraitent à force de règles complexes et de réformes surréalistes. La langue elle-même n'y est pour rien.
Céleste albaret fut la gouvernante et l'unique confidente de marcel proust pendant les huit années où il écrivit son chef-d'oeuvre - elle est d'ailleurs une des clefs du personnage de françoise dans la recherche.
Jour après jour elle assista dans sa vie, son travail et son long martyre, ce grand malade génial qui se tua volontairement à la tâche. après la mort de proust en 1922, elle a longtemps refusé de livrer ses souvenirs. puis, à quatre-vingt-deux ans, elle a décidé de rendre ce dernier devoir à celui qui lui disait : " ce sont vos belles petites mains qui me fermeront les yeux. " par rapport aux centaines de livres publiés sur lui, ce que ce témoignage capital apporte, c'est l'image, unique de vérité, d'un proust sortant de la plus fidèle des mémoires, celle du coeur, pour revivre parmi nous.
Avant même de siéger parmi les Immortels, Pagnol l'avait bien compris : « Les bavards sont ceux qui vous parlent des autres. Les raseurs sont ceux qui vous parlent d'eux-mêmes. Ceux qui vous parlent de vous sont de brillants causeurs. » Son oeuvre entière, qu'elle soit théâtrale, cinématographique ou littéraire, repose sur une authentique relation d'amour avec les bonnes gens, forts en gueule ou pauvres en mots, qu'il a dépeinte en une galerie de personnages plus vrais que nature, à la fois graves et tendres. Mieux que quiconque, Marcel a su tendre un miroir fabuleux à son public, lui offrant une comédie humaine de la Belle époque, matinée de la lumière du Sud, où l'accent chantant n'est jamais un prétexte à la pochade. Ces citations, extraits ou scènes d'anthologie, rassemblées par Nicolas Pagnol dans un petit livre où les jeux de typographie alternent avec les dessins, ravivent d'un trait d'esprit tout un monde. On y goûte, avec un plaisir intact, ces délicieuses fulgurances qui portent le sourire aux lèvres.
« L'écrivain est un lâche. La preuve : il écrit. S'il était courageux, il vivrait. Par peur des coups du sort, il se met à l'écart. C'est un juge de touche : il court d'un bout à l'autre du terrain de foot sans pouvoir y pénétrer pour taper dans le ballon de la vie. Écrire et vivre sont des activités contradictoires, c'est pourquoi les gens qui vivent ne savent pas écrire. C'est le travail d'une vie. D'une vie de lâche. » Patrick Besson.
Au sens propre, l'ivresse vient d'un joyau végétal, soit la vigne, soit des céréales transformées en boisson, source de vie. Mais les symboliques se sont emparées dès l'Antiquité de cette transformation mentale, de cette métamorphose de la conscience, au-delà de la raison, de la logique, de la prison du réel. Parente de la folie, de la transgression, du rêve, l'ivresse première, celle du vin et de tous les alcools, boissons et « eaux-de-vie », suscite dès l'Antiquité de superbes symboliques. En Grèce, c'est le dieu contesté Dionysos, repris par les Romains sous le nom de Bacchus, entraînant des cortèges de ménades, de satyres, de bacchantes, mêlant exaltation et sexualité, violence « comique » (le komos grec est un cortège priapique) et plaisir.
C'est aussi la vigne, don divin, qui provoque chez l'innocent patriarche Noé un scandale associant l'impudeur à l'inconscience.
Célébration de la vie, l'ivresse est sacrée. Ses effets sont excessifs et contradictoires. L'ego ebrius est seul dans la communion affective du Banquet selon Platon. L'ivresse est associée aux artifices dangereux des paradis imaginaires. De même que le dieu-monstre Dionysos, inspirateur de toute création, est rejeté au nom d'Apollon, mais actif en nous, l'ivresse est condamnée et célébrée. Les éducateurs spartiates enseignent à leurs enfants le mépris de l'« ilote ivre » ; Rabelais exalte les « bien ivres », adorateurs de la Dive Bouteille.
Car l'ivresse, pouvoir physique de boissons divines, s'évade vers d'autres vertiges. Amoureux, mystiques, transcendants, fervents, témoignent tous d'ivresses sans nul alcool. Ils ou elles sont ivres de passion, de bonheur, de Dieu, d'humanité, mais aussi ivres de pouvoir, d'argent, de colère, de haine.
Le domaine privilégié des ivresses immatérielles est certainement celui de la création artistique et poétique, jusqu'à l'exigence du « dérèglement de tous les sens » (Rimbaud). Et existent aussi l'ivresse du savoir, de la raison, celle du mathématicien, celle de l'ingénieur.
Selon les époques et les civilisations, on perçoit des territoires majeurs de l'ivresse : Antiquité gréco-latine, Moyen Âge occidental, islam arabo-persan, Chine et Japon, avec leurs poètes, leurs artistes, leurs musiciens, leurs penseurs, leurs mystiques.
Dans l'ivresse de la découverte ou celle de la reconnaissance, on en évoquera, on en citera les plus inspirés.
Enfin, un parcours de mots, parmi les métaphores de l'ivresse, scellera l'accord avec les créations calligraphiques et plastiques de Lassaâd Metoui. En effet, le texte proposé dans cet ouvrage ne prendra sens que par ces créations visuelles et colorées, qui, outre l'évocation des grands thèmes interculturels évoqués, fera allusion aux grandes ivresses poétiques et artistiques d'Occident et d'Orient, à Matisse comme à Hiroshige, à Baudelaire comme à Hâfiz ou à ce poète du Ve siècle chinois, Tao Qian, qui intitulait « Ivresse » ou « En buvant » ces vers : / « Qu'est-ce, dans ce monde / De permanent ? / Les montagnes de vain hasard / Je les surmonte maintenant / Sans rêves illusoires / Sans l'ivresse. » Montrant ainsi que l'on ne rejoint la paix heureuse qu'en buvant pour mieux aller au-delà de l'ivresse du réel, vers le tao, sans doute.
Marina Tsvetaeva (1892-1941) est un des plus grands écrivains du XXe siècle ; son destin fut un des plus tragiques. La révolution d'Octobre... Le long exil, d'abord à Prague puis en France... Une fille morte de faim, une autre déportée vers le Goulag... L'hostilité de l'émigration russe, l'indifférence du Paris littéraire... Des échanges passionnés avec Rilke et Pasternak... Un dévouement indéfectible pour son mari, de nombreuses amours illusoires... Le retour contraint en Union soviétique... Des appels désespérés à Beria ou Staline... et jusqu'a son propre suicide - tout cela Marina l'a écrit, avec une minutie poignante. D'un bout à l'autre de son existence, cette mécréante ne cesse de se confesser. Elle le fait dans des lettres, adressées tantôt à des amis proches, tantôt à des inconnus. Elle poursuit sans relâche son monologue dans des cahiers de brouillon et des carnets. Seule la mort brutale l'a empêchée d'en faire un livre. Vivre dans le feu parachève ce dessein. Pour établir ce qui constitue une véritable autobiographie de Tsvetaeva, mais aussi une méditation unique sur la création, la vie des femmes et une époque en bouleversement, Tzvetan Todorov a extrait de dix tomes d'écrits intimes publiés en russe la matière d'un volume, où l'on peut suivre au jour le jour le destin de cette femme de génie. Un chef-d'oeuvre de la littérature du XXe siècle ignoré jusqu'à présent peut enfin voir le jour.
« Vous et moi, nous ne nous quitterons jamais... ».
Gala et Dalí se sont aimés pendant plus de cinquante ans, et Cadaqués fut l'écrin de leur folle passion. À l'été 1979, Dominique de Gasquet se présenta chez eux en se faisant passer pour une voyante extralucide et une tireuse de cartes ; charmés, ils lui ouvrirent leur porte... Elle fut invitée par Gala au château de Púbol et y écouta, enchantée, le récit des aventures de cette muse d'origine russe : la découverte de Paris et du surréalisme, son premier mari Paul Éluard et son amant Max Ernst, son coup de foudre et son mariage avec Dalí...
Là, Dominique de Gasquet fit également la connaissance de Paquita et d'Arturo. Entré au service du couple en 1948, Arturo fut tour à tour jardinier, majordome, chauffeur, photographe, convoyeur de fonds et homme de confiance, et resta aux côtés du peintre jusqu'à la mort de celui-ci en 1989. Paquita, témoin de la vie intime de Dalí et Gala, de leur amour indestructible, de la poésie de leur quotidien loin des mondanités des grandes villes, raconte ici pour la première fois ses souvenirs et ceux de son mari, aujourd'hui disparu.
Dans les ruelles de Cadaqués, enveloppée par les parfums, les couleurs, les bruits de la rue et de la mer, Dominique de Gasquet part à la recherche des témoins de cette époque, donne voix à plusieurs générations et personnalités unies par leurs souvenirs et leur forte affection pour Gala et Dalí. Ce livre est une enquête littéraire autour de la petite famille que les deux artistes s'étaient choisie dans ce coin préservé d'Espagne, l'« autre côté du miroir ».