Transfuge a choisi pour vous quinze livres de la rentrée littéraire. Gaspar Noé, Climax. Lars von Trier, The House that Jack Built. Théo Mercier, Inversion, La Fille du collectionneur, Affordable Solution for Better Living. Arthur Nauzyciel, La Dame aux Camélias. Antoine Schmitt. Madsaki.
L'égalité homme-femme a fait des progrès considérables depuis des décennies, et c'est tant mieux. C'est même essentiel. Pendant des siècles, des hommes ont oppressé des femmes, de manière systémique. On a appelé cela le patriarcat, et il était bien réel. Rien à redire là-dessus. Rien non plus à redire sur le fait qu'il faille dénoncer les viols commis sur les femmes chaque jour, un chiffre intolérable. Les hommes doivent se montrer solidaires de ce combat contre les violeurs.
Anselm Kiefer expose au Grand Palais éphémère au mois de décembre: Pour Paul Celan, grand entretien en UNE de Transfuge. Interview avec le Prix Goncourt 2021, Mohamed Mbougar Sarr pour La plus secrète mémoire des hommes
Voilà Nietzsche qui pointe son nez. Alerte, il observe ce qui se passe sur les réseaux sociaux. On parle beaucoup de morts, beaucoup de décès. Pas étonné, le goût du morbide des hommes, il sait, il a écrit dessus, rien de neuf sous le soleil noir de la mélancolie. Là où il est très fier, c'est qu'il avait eu l'intuition que les hommes geignaient en permanence, jérémiades à tous les étages, plainte, plainte, plainte. Les animaux, les femmes, les politiciens, les stars... La liste est infinie, et change selon le sens du vent. Diable, grâce à ses réseaux sociaux, il avait la preuve par un million de sa géniale intuition. Il est cependant un peu étonné que les Français soient devenus si lourds, lui qui vantait auprès des Allemands, décidément trop wagnériens à son goût, la légèreté française, son esprit, sa sensibilité, son humour. Voltaire, un de ses grands maîtres : enterré. Lui qui pensait avoir fait école, prétentieux qu'il était, ne voit trace de nietzschéens, à quelques réserves près. Il repense à une de ses phrases qui le mettait de si bonne humeur : « nous autres, oiseaux nés libres ! Où que nous allions, tout devient libre et ensoleillé autour de nous. » Où sont passés ces oiseaux libres ? Si vous en croisez un, ne le quittez plus, c'est une espèce en voie de disparition. Mais il se rassure, se dit qu'il n'est pas le seul des grands penseurs à être en échec : Montaigne, son grand ami avec qu'il partageait cette joie sceptique, n'avait-il pas conseillé aux hommes de converser sans passion, en ayant toujours conscience que son propre point de vue est friable ? Sur les réseaux sociaux, personne ou presque n'a lu Montaigne, c'est évident. Et son autre ami Epicure, installé confortablement dans son Jardin, à disserter sur le monde, loin des affaires de la cité, loin des pensées collectives, qui l'écoute aujourd'hui, alors que les hommes semblent répandre leur vie privée sans aucun scrupule et s'engager sur tel ou tel sujet comme on va pisser un coup ? On imagine alors Nietzsche aller au kiosque à journaux acheter son Transfuge, dont il a entendu parler en bien. On lui a dit qu'il pourrait retrouver l'air qu'il affectionne, l'air mordant, l'air des hauteurs. Il est heureux de découvrir que l'art, la beauté continuent à intéresser les hommes. Cette Américaine Louise Erdrich n'a l'air pas mal du tout. En tout cas Transfuge la considère comme une des très grands écrivains contemporains. Titre du roman : LaRose. Cette écrivain d'origine allemande, et amérindienne, intéressant. Et cette histoire de tragédie qui n'en est pas une, et qui finit en une histoire d'arrangement. Là où les hommes ne voient qu'idéaux, Erdrich ne semble voir que de l'humain, du trop humain. L'art du roman. Et ce Paul Thomas Anderson qui revient avec Phantom Thread, sur un homme prêt à tout sacrifier pour son art, comment puis-je ne pas y être sensible ? Dévoré par son art, jusqu'à en devenir fou. Ah et ce Rameau mis en scène par une punk, à l'Opéra- Comique : Et in Arcadia ego. La belle humeur du XVIIIe mêlée à cet art brut, ça promet ! L'art dionysiaque par excellence. L'art contre les passions tristes et lourdes des réseaux sociaux.
Tout à fait par hasard, trois des sujets centraux de ce mois dans Transfuge, se fondent sur un même axiome : la friction entre deux mondes. Précisément, entre un monde ancien et un monde nouveau. Quoi de mieux pour l'art, que cette friction, source de dis-harmonie donc d'énergie, de résistance et de libération. Conséquence logique : tremblement, doute, voire chaos. C'est à cette place même que se situe le grand écrivain yiddish Isaac Bashevis Singer (1902-1991), prix Nobel de littérature en 1978, auquel nous consacrons un long dossier. L'art entier de Singer se situe à la croisée de ce monde juif polonais orthodoxe dont il est issu, et ce monde sécularisé auquel peu à peu il adhère. Complexité de l'auteur : il restera, dans son oeuvre et dans sa vie, toujours attaché à la branche irrationnelle du judaïsme. Imaginaire hybride et puissant, qui a permis la création de personnages inoubliables, grotesques, pathétiques ou pervers, comme dans cet incroyable inédit venant de paraître, Keila la Rouge
Quelle bacchanale nous offre Abdellatif Kechiche, avec son dernier film, ce Mektoub My Love (canto uno) pour notre plus grand plaisir ! Fureur, ivresse, débordement, gar- çons et filles s'exposent sous le soleil de Sète. S'amusent, sourient, sourient et sourient, baisent. Y a t-il un film plus heureux que celui-là ? Je ne crois pas. C'est la joie pure de corps désirants et désirés, que nous montre trois heures durant Kechiche. On en redemande, le film est trop court. Une joie sensuellement méditée. Nous suivons la trajectoire de corps, filmés de près le plus souvent, au bord de la mer. Kechiche se souvient que le cinéma n'est que cinéma. Morale, politique et psychologisme au placard. Retour aux premiers temps du cinéma. Une des filles, au bar, dit un peu ivre et en riant : « j'apprécie toutes les bonnes choses dans la vie, l'alcool, les mecs, danser... » Ce oui absolu au monde... Plus nietzschéen que ce film, c'est impossible. Film dionysiaque qui est le retour à une sensualité libérée, préconsciente, animale. A-t-on déjà vu un tel film, où l'Eros occupe intégralement la place ? A notre époque où la mort domine tel un maître, le film s'offre à nous comme une belle échappée. Cette orgie organisée cinématogra- phiquement va faire frémir. Voyez la propagande romantique monter au créneau. Un film sans inquiétude, sans tragique, sans même un déra- page ou un viol diront certaines féministes ? Pas d'envers de la médaille à cette révolution des sens, est-ce raisonnable ? Scandale ! Mais enfin, où est passée la guerre des sexes post- Weinstein acclamée par les réseaux sociaux et les médias télévisuels ? Des garçons et des filles mêlent leurs désirs heureux, s'entendent, se com- prennent, s'aiment. Simplement. Ce sera trop pour certains. Kechiche filme une cérémonie religieuse où l'on danse jusqu'à l'extase. On pense à La Danse de la vie humaine de Poussin. Une sereine splendeur illégale. Est-ce cela le paradis?
Voici la quatorzième rentrée littéraire, et un constat qui persiste : le roman qui intègre la pensée se fait rare. Si les années soixante, soixante-dix marquaient en France la grande symbiose du roman et de la philosophie, Tel Quel, Change, Critique étant les revues emblématique de cette apothéose, les années quatre-vingt allaient ouvrir une époque qui se poursuit aujourd'hui : le retour au romanesque.Raconter des histoires redevenait prioritaire. Notre époque pense-t-elle encore ? se demande Nietzsche. Oh bien sûr, ça continue à penser, pensouiller devrais-je dire. Prenons le roman du sympathique Thomas B.Reverdy de cette rentrée, L'Hiver du mécontentement, qui du Monde diplo et de Mediapart fait un roman. Là où ces journaux militants font leur job, monde binaire où un monde bon (classe populaire) affronte un monde mauvais (classe dirigeante), Reverdy fait mal le sien : le roman est trop prévisible pour nous intéresser. Les énergies contradictoires de la société comme dirait Jean-François Bizot, n'apparaissent jamais dans ce livre tract. Que penser d'une formule aussi lapidaire et simplificatrice que : « Le Do it yourself (punk)deviendra le Just do it (capitaliste)» ?
Un livre passionnant vient de paraître, et éclaire de manière saisissante l'esprit de ces derniers temps, marquant le retour des préjugés haineux. Luigi Zola, sociologue et psychanalyste, signe un livre majeur, Paranoïa, La folie qui fait l'histoire, aux éditions des Belles Lettres. Il suffit aujourd'hui de surfer sur le Net, passer d'une page Facebook à une autre, d'un Twitter l'autre, pour s'apercevoir à quel point la pensée paranoïaque est vivace. Cette impression s'est confirmée à la lecture d'un sondage de la Fondation Jean-Jaurès, qui révèle que plus de 44% des gilets jaunes estiment qu'il y a un complot sioniste mondial. Quasiment un gilet jaune sur deux, c'est inquiétant. C'est inquiétant parce que la paranoïa est à la source de toutes les guerres. Symboliques dans un premier temps, par les mots, par des pseudo-pensées, puis réelles avec passages à l'acte. Alors voyons voir à quoi ressemble le cerveau d'un paranoïaque selon Zola.
L'interview : Yannick Haenel, La Solitude Caravage. Reportage : Maggie O'Farrell et la near death experience. Portrait : Maria Pourchet. L'interview : Nadav Lapid, Synonymes. Reportage : Transfuge a rencontré une partie de l'équipe du film de Claire Burger pour son film C'est ça l'amour. Portrait : Alberto Fasulo.Portrait : Michel Fau. Reportage : Anne Teresa De Keersmaeker, Les Six Concertos brandebourgeois. L'interview : Emmanuel Demarcy-Mota. L'interview : Gerwald Rockenschaub chez Thaddaeus Ropac, à Londres. Reportage : L'art du roman dans les expositions Survivre ne suffit pas, Frac Franche-Comté et Marcovaldo au Houloc. Portrait : Naziha Mestaoui
Combien sommes-nous encore, à penser que l'Union européenne est vitale, une utopie belle et salvatrice ? Plus beaucoup, si l'on en croit l'état pathétique de l'Europe d'aujourd'hui. Les partis europhobes d'extrême droite sont au plus haut, avec Marine Le Pen, Matteo Savini, Viktor Orban, Jaroslaw Kaczynski...Soutenus par Poutine qui rêve que l'UE se désagrège, et par Steve Bannon, ancien conseiller de Trump qui joue un rôle grandissant dans cette affaire, ces nouveaux hommes forts de l'Europe ont de quoi effrayer. Culte de la force, politique antimigratoire très dure, obsession sécuritaire, anti-élitisme, remise en cause du droit des femmes et des droit LGBT, antisémitisme... L'importance de ces composantes varient selon les partis, mais grosso modo elles caractérisent ces eurosceptiques, qui sont à l'inverse des principes de l'UE. L'Europe est malade et la sociale-démocratie périssante. L'UE est pleine de défauts et si l'on est vache, on pourrait dire qu'elle l'a bien cherché, ce désamour : trop de verticalité, trop de normes absurdes, trop de lobbies. Avec le temps, Bruxelles a perdu son âme. Où est passée l'idée magnifique de faire taire les méfiances réciproques de ces pays européens qui n'ont eu de cesse de se faire la guerre ? Des générations entières d'après-guerre se sont nourris de cette volonté incroyable de fraternité. Mais pour les jeunes d'aujourd'hui, la Deuxième Guerre mondiale est loin et cette idée ne suffit plus pour les enthousiasmer. Alors il faut inventer autre chose, redonner un supplément d'âme pour combattre ceux qui rêvent sa mort. La culture, comme on l'a dit dans notre dernier numéro, a un rôle à jouer. Quand la Fondation Cartier organise une expo sur les jeunes artistes européens, elle oeuvre pour une nouvelle fraternité. Idem pour le Théatre de la Ville et son festival Chantiers d'Europe. Nous avons été très fiers de nous lier à ces deux évenements de combat. Car oui, l'humanisme qui est au coeur du projet européen, est effectivement un combat, nous ne cessons de le répéter. Et avant tout, à notre niveau, un combat d'idées.
J'ai pris un verre avec Emma Becker Chronique : Book-émissaire Interview extra : : Christophe Ono-dit-Biot. L'interview : Transfuge a longuement rencontré le grand écrivain roumain Mircea Cartarescu pour son roman kafkaïen Solenoïde. ortrait : On a portraituré Zhang Yueran, figure de la nouvelle génération d'écrivains chinois. Reportage : Transfuge est allé à la rencontre de la fine fleur de la littérature serbe, à l'occasion du festival. L'interview : Transfuge s'est longuement entretenu avec le grand cinéaste italien Marco Bellocchio pour son film Le Traître. L'interview : Krzysztof Warlikowski pour son plus beau spectacle, On s'en va. L'interview : interview fleuve de Yan Pei-Ming qui expose à Orsay Un enterrement à Shanghai.
Cinéaste du mystère féminin, Claude Chabrol n'a de cesse tout au long de sa filmographie, de préciser et d'approfondir sa vision des femmes. La sortie chez Carlotta d'un coffret Claude Chabrol, Suspense au féminin a fourni l'occasion à Transfuge de réfléchir à la représentation de la femme dans les films du réalisateur du Boucher. En essayant d'échapper aux grilles de lecture trop réductrices. Dans le dossier de ce numéro de décembre, la rédaction a taché de réfléchir à la représentation de la femme au cinéma avec un autre vocabulaire, un vocabulaire plus personnel, plus intime, plus original, plus pensé. Si d'ailleurs les termes de misogynie et de féminisme s'invitent parfois dans quelques articles et interviews, c'est qu'ils furent - déjà - imposés à Claude Chabrol lui-même. Pourquoi imposés ? Parce qu'en ces matières, comme tout artiste conscient de la grandeur et de la dignité de son art, Chabrol refusait de se laisser enfermer dans un discours militant et schématique.
À l'occasion de l'exposition Révolution Xenakis, qui se tiendra à la Philharmonie de Paris du 10 février au 26 juin, Transfuge revient sur le mystère Xenakis, son histoire et ses influences et invite ses lecteurs à redécouvrir l'un des plus grands musiciens du siècle passé. Né il y a cent ans, cet architecte devenu compositeur, ce résistant devenu créateur, s'avère une figure hautement romanesque, à l'Å«uvre considérable. Un dossier de plus de 10 pages, regroupant interviews et reportages: une rencontre avec Mâkhi Xenakis, fille du créateur, et co-commissaire de l'exposition à la Philharmonie, une interview de Pascal Dusapin, le plus célèbre des élèves de Xenakis, mais aussi Jean-Michel Jarre, pâpe de l'electro-pop, qui évoque l'héritage de Xenakis ou encore un échange avec Jean-Michel Wilmotte: l'architecte signe la scénographie de l'exposition et raconte comment l'oeuvre archietcturale et musicale de Xenakis fut une révélation pour lui.